Vinent Geisser, Laïcophobe

« Les ennemis de la Laïcité (suite) : le cas Vincent Geisser » (titre original) Vincent Paret, CLR 13 Aix, nov. 2003 (paru sur le site du CLR, Comité Laïcité République)

C’est une petite salle de classe qui accueille le débat organisé par le Comité Jean Jaurès de l’IEP d’Aix-en-Provence sur « la nouvelle islamophobie ». Vincent Geisser, auteur de l’essai en question prend place, extrêmement à l’aise dans son rôle d’apôtre de la sociologie différentialiste. Dans une tenue décontractée, voire relâchée, le jeune chercheur interpelle ses anciens élèves sur le ton de la franche camaraderie. Au diable la sacro-sainte mais dépassée distance étudiant-professeur. De fait, Vincent Geisser préfère à celle-ci la proximité du gourou et de l’adepte.

Dès ses premiers mots, on pressent que l’essayiste sait que « la sociologie est un sport de combat » et qu’il ne va pas hésiter à faire violence aux statistiques et aux idées pour arriver à ses fins : tordre le cou de Marianne. Vincent Geisser le fera de manière quelque peu perfide puisqu’il s’échinera tout au long du débat à faire passer les vessies différentialistes pour des lanternes laïques.

Cependant, rendons grâce à Vincent Geisser, il avance ses premières thèses avec une relative prudence : il s’en prend d’abord aux républicains de manière subtile et polie. Nous souffririons d’un certain complexe théologique envers l’Islam que nous méconnaîtrions ; nous souffririons plus généralement d’un rapport difficile à la religion, invariablement synonyme pour nous d’aliénation. Soit, il est aisé pour les adversaires de la laïcité de s’en prendre à notre intelligence incomplète des religions – l’Islam et toutes les autres – mais qui peut se targuer de la compréhension complète de religions aux textes nombreux et aux exégèses innombrables ? Personne. D’autre part et inversement, il serait tentant de renvoyer les chercheurs comme Vincent Geisser à leurs études tant leur méconnaissance de la diversité des idées républicaines « semble » grande. Pour ne prendre qu’un exemple, les lumières républicaines ont alimenté à la fois les discours colonialistes de Ferry et anti-colonialistes de Clemenceau. Ne retenir que le premier biaise singulièrement le propos. Quant à l’aversion pour la religion, force est de constater que beaucoup de républicains ne la partagent pas : certains croient en l’élévation spirituelle par la foi, d’autres n’y croient pas. Bref, le discours anti-religieux n’est pas le cœur du projet républicain ; son cœur, c’est la lutte contre toute forme de cléricalisme.

« Et, continue Vincent Geisser, les républicains n’aiment les musulmans qu’éclairés et modérés ». Avec un aplomb grandissant, le sociologue prend les républicains pour des monomaniaques de l’ « islamophobie ». Disons pour être juste que les républicains préfèrent aussi les catholiques éclairés et modérés aux dévots de Saint-Nicolas du Chardonnay et aussi les protestants éclairés et modérés aux adeptes des pires mouvements sectaires calvinistes. Sommes-nous pour autant catholicophobes, voire protestantophobes, suivant des néologismes que Vincent Geisser n’a pas inventé ? Une des tendances du républicanisme est de préférer aux agitateurs zélotes les croyants sages qui acceptent que d’autres ne croient pas comme eux.

Les arguments précédents sont des détails par rapport à ce qui va suivre. Vincent Geisser opère ainsi un rapprochement insultant entre deux tendances qu’il lie par un syllogisme simpliste :

  • 1e proposition : le républicanisme laïque est dans l’impasse et prend l’Islam comme exutoire (sic) ;
  • 2e proposition : le racisme s’est peu à peu déplacé vers l’Islam (re-sic).
    Conclusion : les républicains sont racistes

Certes, Vincent Geisser met des bémols à sa théorie : les républicains sont victimes de la logique propre de leur discours plutôt que les tenants d’un authentique racisme. Ils sont aussi victimes de la logique médiatique qui ne les fait exister qu’à travers l’islamophobie. Reste que comme chez Bruno Etienne, l’idée phare, c’est que « la laïcité à la française, c’est le racisme à la française ».

Cette théorie sera illustrée par un exemple pour le moins édifiant. Laissons la parole à Vincent Geisser : « J’ai croisé Henri Pena-Ruiz sur le plateau de Riposte, l’émission de Moati. Henri Pena-Ruiz est un grand philosophe qui défend avec talent l’idée de laïcité… Mais ce que j’ai vu à la fin de l’émission me fait dire que les républicains ont un problème avec l’Islam : il s’est dirigé vers une jeune femme voilée qui avait pris la parole lors de la discussion et vous savez ce qu’il lui a dit… Il lui a dit quelque chose de significatif sur l’ aversion envers les différences des républicains, sur leur paternalisme envers les « inférieurs »… Il lui a dit : « vous devriez enlever votre voile, vous avez l’air très belle ». » Voilà le genre d’arguments qu’utilise Vincent Geisser en conférence pour disqualifier la pensée laïque. Il est vrai que le jeune chercheur aixois n’est pas encore de taille à dialoguer philosophiquement avec Henri Pena-Ruiz.

Les laïques n’ont pas compris le mouvement de la société et de l’Histoire. Tel est le verdict final du sociologue, verdict corroboré, on n’en doute pas un instant, par des études chiffrées extrêmement poussées. En fait, analyse le sociologue, le port du voile, comme beaucoup de phénomènes religieux tant décriés (sectes…), est un phénomène purement individualiste relevant de l’ « égoïsme démocratique ». Bref, le risque est faible de voir la société se défaire sur cette affaire-là. D’ailleurs, poursuit Vincent Geisser sur le ton de l’évidence : « Le voile dans la salle de classe, ça pose un problème à qui ? » On sent un murmure d’assentiment passer dans la salle. Un spectateur réagit avec vigueur mais son intervention tendant à démontrer l’impossibilité de faire vivre ensemble dans une salle de classe des élèves arborant symboles religieux, politique ou philosophiques distinctifs, est prise sur le mode de l’absurde par Vincent Geisser incapable d’imaginer que des élèves en viennent au main pour des idées.

Toutes les bonnes choses ayant une fin, Vincent Geisser conclut sa conférence sur un propos qui vaut son pesant d’or en matière de dangerosité intellectuelle. La nouvelle islamophobie – celle donc professée entre autres par les républicains laïques – serait liée à une mouvance intellectuelle plus large mêlant rejet des élites démissionnaires de la République ; appel au « peuple réel », victime du racisme anti-Français ; et enfin, pensée anti-1968 nostalgique d’ordre et de conservatisme. Anti-élitisme, populisme, rappel à l’ordre : cela ne vous rappelle rien ? Des régimes fascisants par exemple… Mais Vincent Geisser ne va pas jusqu’à affirmer le caractère totalitaire du républicanisme. Toutefois, dit-il, « la République est pour le moins totaliste ».

Voilà, les adhérents du CLR seront sans doute ravis d’avoir appris que d’après la subtile classification « Geisser », ils sont intolérants envers toute forme de religiosité, racistes puisqu’ « islamophobes » et qu’ils font peser sur la France le risque d’une dérive totalitaire. « La sociologie est un sport de combat », disait Bourdieu. Au moins les sports de combat ont-ils des règles et professent-ils le respect de l’adversaire.


Vincent Paret, étudiant, membre du CLR 13 Aix, nov. 2003 (paru sur le site du CLR, Comité Laïcité République).


création, novembre 2003