« pour ceux qui iront manifester le 13 »
Besse [Var], village en pointe lors du coup d’état de décembre 1851, va faire parler de lui le 17 avril 1907. Un incident d’une certaine gravité va opposer la municipalité de Noël Blache, premier « historien » des insurgés varois, à l’évêque de Fréjus.
Le 28 janvier 1907, le maire prend un arrêté réglementant les cloches conformément à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 « Tout autre appel des cloches en dehors des heures prescrites, constituera un appel à la population, exécuté sur les ordres des autorités civiles ». Le préfet valide. Or le 17 avril, meurt à Besse, Louis Ollivier, 31 ans, agriculteur, laissant un testament où il demande des obsèques purement civiles. A 16h, juste avant le départ du cortège, Séverin Chabert, adjoint au maire fait sonner les cloches pour prévenir les villageois. Aussitôt le curé Jourdan informe son évêque Guillibert de ce « scandale » qui lui écrit une lettre:
« … Les cloches ont été mis en branle pour annoncer l’enterrement civil d’un homme trouvé mort sur la commune (sic!)… L’acte commis par M. Chabert, adjoint est une insulte au culte catholique… je suis donc dans la douloureuse nécessité de mettre en interdit, jusqu’à réparation du scandale public effectué par un abus de pouvoir, la paroisse de Besse… »
En français: il retire le curé de Besse qui transmet la lettre au maire et annonce son départ de la paroisse « jusqu’après réparation »!
Blache n’a connaissance de tout ce tapage que le 21, il répond à l’évêque:
« Nous n’avons, en appelant les amis du malheureux Louis Ollivier à ses obsèques, pas plus commis « d’insulte » au culte catholique, que vos prêtres n’en commettent eux-mêmes à l’encontre des libres penseurs, en assemblant – par une sonnerie de cloches – leurs fidèles autour des cercueils de ceux qui ont dans leur liberté de leur conscience, demandé avant de mourir les consolations et les prières de la religion. »
Les libres-penseurs du groupe Emile Zola publient une lettre ouverte à Guillibert dans Le Petit Var du 23 avril, insérant le testament civil du défunt du 18 avril 1905, signé pour légalisation par le maire Gilly:
« Monsieur, … nous n’avons pas été surpris en lisant dans votre lettre à M. le curé de Besse, la phrase suivante qui constitue une grave insulte à la mémoire d’un citoyen dont le crime abominable fut – à vos yeux – d’avoir dispensé votre représentant dans la commune d’asperger son cercueil d’eau bénite… L’homme trouvé mort, selon votre évangélique qualification, était unanimement connu et estimé dans la commune de Besse… D’autres encore sauront choisir entre vos pratiques de haine et nos espérances de fraternité… terminant par un ainsi soit-il. »
Ils en publient une seconde à l’attention de Blache:
« Citoyen maire, permettez-nous de vous adresser toutes nos félicitations pour la dignité ferme avec laquelle vous avez soutenu dans la commune, la stricte application de la loi… Mais elle ouvre dès maintenant un horizon nouveau dans l’obscurité de cette loi tant de fois revue et corrigée qu’on appelle loi de séparation… Marchez, citoyen maire, la population républicaine tout entière de Besse vous suivra. »
Le 25 avril, le fougueux député anticlérical de Draguignan, célèbre pour son intervention à la Chambre le 10 avril 1905, Maurice Allard s’en mêle: Le conflit de Besse
Fustigeant M Guillibert évêque romain en villégiature à Fréjus, il revient sur la loi de 1905 :
« En somme, les églises sont des bâtiments communaux, c’est à dire appartenant collectivement à la population. Si donc on y sonne religieusement, il n’y a aucune raison pour qu’on n’y sonne pas civilement… Le curé a quitté l’église, ce dont nous le félicitons. En ce faisant, il a montré combien est stupide et absurde une loi qui force les communes à mettre des immeubles dont elles sont propriétaires à la disposition d’individus qui se prétendent audacieusement les représentants de dieu et qui, par suite, veulent agir en maîtres dans des locaux qui ne leur appartiennent pas. La séparation ne sera faite que le jour où les communes auront repris la complète et absolue disposition des immeubles dont elles sont propriétaires. Ce jour-là, les curés loueront ou ne loueront pas les églises, au gré des municipalités… Voilà la commune débarrassé de son curé. Avantage qu’on ne saurait trop apprécié. C’est pour quoi je félicite très cordialement le curé de Besse, qui s’est montré plus séparatiste que le gouvernement. Je souhaite vivement que cet incident ne soit pas le seul dans le Var. »
Mais l’évêque contre-attaque dans Le Petit Marseillais, rejetant sur la municipalité, les conséquences de ses actes, chassant le curé et interdisant l’accès de l’église aux croyants. Blache le reprend de volée, dans une lettre ouverte le 28 avril où il rappelle son arrêté validé par le préfet, les articles 5 de la loi du 2 janvier 1907 et 51 du décret du 18 mars 1906, « Mon arrêté est-il légal? Permettez-moi de vous dire, Monsieur l’Evêque, que je n’ai pas à le discuter avec vous, parce que vous n’avez le droit de le discuter avec personne. Vous oubliez, en effet, que de par la suppression du régime concordataire, si comme homme, il m’est loisible de vous accorder de hautes qualités de cœur et d’intelligence, comme évêque je ne vous connais pas, de même que la loi nouvelle vous ignore… Il est étrange de voir l’évêque Guillibert revendiquer, à l’encontre de mon arrêté, des articles de lois que l’Eglise n’a pas voulu accepter… Vous me demandez de ne plus violer, en matière de sonneries civiles, la loi du pays. Mais cette loi devant laquelle les prêtres romains refusent de s’incliner, n’est-elle donc la loi que pour les maires républicains? »
Il lui demande à qui doit-il s’adresser comme la loi l’y oblige puisqu’il n’existe pas à Besse d’association cultuelle! « Envoyez-moi, Monsieur l’évêque, le président de l’association cultuelle de Besse et je ferai de mon mieux pour m’entendre avec lui. Mon arrêté RESTERA CE QU’IL EST à moins que l’autorité civile ne le brise juridiquement. »
Il a la loi pour lui, car en vertu de l’article 27 de la loi de 1905 c’est le maire seul qui a le droit de régler les sonnerie dans la commune. En cas de désaccord le préfet peut intervenir.
Mais cette question des cloches tend d’ailleurs à se généraliser dans le Var, c’est d’abord Bargemon puis Pierrefeu et Le Luc, le préfet commence à s’affoler. Maurice Allard, opposant au gouvernement de Clemenceau, attise les braises: « L’évêque romain de Fréjus, comme ses collègues, repousse en bloc la loi de séparation; mais il se réserve de l’accepter dans les parties qui lui paraissent essentiellement favorables à l’Eglise. C’est en vertu de ce système, assurément commode, mais assez cynique, que les bons messieurs prêtres, tout en rejetant la loi de séparation comme antidivine, se sont, en vertu d’un article de cette même loi, précipités chez les percepteurs, pour toucher les pensions qu’on leur jetait comme une aumône! »
Il souhaite que ces incidents se multiplient afin de reposer la question devant le parlement et demande aux municipalités de démissionner.
Le 30 avril, Besse remet ça, en enterrant civilement Philomène Amic, 70 ans, après sonnerie des cloches avec discours de Blache: « Ce glas c’était celui des vieilles croyances qui avaient bercé nos pères. Ce carillon, c’était celui de l’affranchissement de l’esprit humain et de la libération de la conscience humaine. Cette libération de la conscience humaine a un cri: c’est celui de la liberté; elle a un drapeau: c’est celui de l’égalité; elle a un symbole: c’est celui de la fraternité. C’est avec ce cri, c’est sous les plis de ce drapeau, c’est autour de ce symbole, que je vous engage à vous unir dans le plein épanouissement de la solidarité humaine. » Quatre autres discours seront prononcés par les délégués des groupes de Libre-Pensée de Carnoules, Flassans, Pignans et Carcès.
On voulut fêter sur le bord du lac, cette mutation sociétale le 26 mai, mais c’est à Carnoules que se déroulera une énorme manifestation ayant trait à la crise, plus grave, des vignerons varois, les maires auront d’autres motifs de démission…
Bon début’an, 3.1.13, Comité 1905 Draguignan et Var