Table ronde ADEP, février 2013, « La décentralisation », Marseille
Table ronde ADEP février 2013 – ‘La décentralisation »
13 fév. 2013 par Philippe Wallez, quotidien la Provence
Un think tank [cercle de pensée], dont le siège est à Marseille et la vocation, une réflexion sur les problèmes d’éducation, a organisé une table ronde sur le thème de la décentralisation
Dans cet article nous vous proposons de larges extraits.
Les participants
Alain BARNIER Professeur de lycée à la retraite, ancien militant et trésorier d’une section SNES, s’exprimant ici à titre personnel
Albert BETTINI, vice-président de l’UDAF 13 (Union Départementale des Associations Familiales)
Raoul CAYOL, Secrétaire départemental de Debout la République 13 (DLR)
Sadry GUITA, représentant de Jean-David CIOT, Premier Secrétaire fédéral de la Fédération socialiste 13, Député des Bouches-du-Rhône, Député des Bouches-du-Rhône
Philippe Isnard, représentant de LAÏQUES & UFAL, Union des Familles Laïques
Pierre MANUEL, vice-président de l’ADEP, professeur en Classes Préparatoires
Cedric MATTHEWS, premier secrétaire du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) Comité de Marseille, Trésorier de l’Union Régionale MRC de PACA
Jean-Claude MUSCATELLI, ancien personnel de Direction (Principal, Proviseur) DDEN (Délégué départemental de l’Education nationale)
Jean ORTOLLAND président de l’ADEP
Alain ROSEGHINI, Journaliste honoraire, ancien secrétaire général de la Rédaction de La Provence
Le débat
Sadry Guita Le systèmea finlandais est connu et reconnu, classé parmi les premiers dans tous les classements internationaux. Mais la Finlande ne représente que 3 millions d’habitants, il est donc difficile de transposer ce système dans ce qu’un ancien ministre nommait le « mammouth » de l’Education nationale. En Finlande, les enfants travaillent de façon intellectuelle le matin et ensuite s’adonnent aux activités péri-scolaires.
C’est un questionnement que l’on soumettre aux enseignants. Si un chef d’établissement un jour dit à une professeur d’arts plastiques ou d’EPS ou de musique s’ils accepteraient de ne travailler que l’après-midi. C’est une interrogation provocatrice car demain il y aura la révolution alors que l’on sait bien que c’est ainsi que cela doit fonctionner. Le rythme de l’enfant connaît une baisse entre 14 h et 16h pour reprendre un peu ensuite. Pendant un laps de temps, pourtant, l’enfant a besoin de s’activer autrement »
La scolarisation des enfants de moins de trois ans va être promue de façon massive, les études montrent que ce sera un investissement dans les quartiers difficiles. Dans les familles où l’on ne parle pas français à la maison, si on ne fait pas cet effort pour les moins de trois ans les chances d’une scolarisation réussie sont amoindries dès le départ. Je vous rappelle que l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de six ans. Une loi va être soumise au Parlement pour rabaisser l’âge à trois ans.
« Le président de la République dans ses engagements 36, 37, 38 a montré la voie. Je lis ici et là qu’il n’y a pas eu de concertation, cela est faux. Le candidat a reçu les syndicats avant les élections, puis à reçu à nouveau les organisations en août. Des propositions de consultations citoyennes se multiplient, mais la consultation a eu lieu, ce fut en mai au moment des élections. Les électeurs se sont prononcés de façon claire. Ce gouvernement veut mettre en place le dispositif pour lequel il a été élu. La scolarisation des enfants de moins de trois ans va être promue de façon massive, les études montrent que ce sera un investissement dans les quartiers difficiles. Dans les familles où l’on ne parle pas français à la maison, si on ne fait pas cet effort pour les moins de trois ans les chances d’une scolarisation réussie sont amoindries dès le départ. Je vous rappelle que l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de six ans. Une loi va être soumise au Parlement pour rabaisser l’âge à trois ans.
Le dispositif « plus de maîtres que de classes » va être implanté, plus exactement développé dans les quartiers nord de Marseille, où il est pratiqué depuis plusieurs années, à l’instar de ce qui se passe en Seine-Saint Denis. Des expériences ont été menées dans ce département, un recul d’expérience sur dix ans est disponible. Des résultats ont été enregistrés. Ajoutons qu’un travail sur le numérique sera mené, le Conseil général des Bouches-du-Rhône a initié cette mise en place depuis dix ans avec le prêt puis le don d’un ordinateur. Cette opération nous semble importante pour réduire la fracture numérique. Certaines familles n’ont pas internet à la maison, c’est très pénalisant quand un enseignant – cela devient une pratique courante – demande une recherche de travail à la maison. Je ne sais si cela sera reproduit l’an prochain, il y a un travail, un budget. Nous pousserons en tant que socialistes et moi en particulier responsable fédéral et national sur le pôle Education
Les collectivités locales vont-elles supporter seules le coût de la réforme ? La réponse est « non ». L’Etat sera impliqué, nous sommes encore Education nationale, nationale avec un N. Il sera effectivement demandé aux collectivités de participer , mais l’Etat va mettre la main à la poche. les enfants sont un investissement, pas une dépense.
La semaine de quatre jours est hautement préjudiciable à la santé de l’enfant, il ne faut pas la garder en l’état. La rumeur fait état d’une réforme qui aurait été posée sans concertation et sans souplesse d’application, je m’inscris en faux. La concertation a eu lieu, le gouvernement doit ensuite prendre une décision, cela a été fait, on ne reviendra pas dessus.
Une autre rumeur : « cette réforme n’est pas urgente, on peut attendre ». Nous avons régressé sur le plan des résultats PISA depuis dix ans. Nous étions devant, l’école maternelle était une spécificité française, l’école maternelle était scrutée comme étant un modèle depuis 30 ans. Aujourd’hui, nous avons régressé. Le taux de non maîtrise de la lecture est devenu catastrophique. Etre analphabète c’est bien de ne pas comprendre un texte, c’est la réalité d’aujourd’hui. Nos collègues du secondaire le savent bien, il ne faut pas jeter l’anathème sur les enseignants du primaire, qui sont soumis à une réglementation, du type ne pas faire redoubler plus de deux fois. Il faut tout mettre à plat. L’école primaire est une priorité pour le président Hollande, même si nous devons constater des problèmes au collège pour tous, je n’aime pas le terme collège unique.
Les collectivités locales vont-elles supporter seules le coût de la réforme ? La réponse est « non ». L’Etat sera impliqué, nous sommes encore Education nationale, nationale avec un N. Il sera effectivement demandé aux collectivités de participer , mais l’Etat va mettre la main à la poche. les enfants sont un investissement, pas une dépense.
Je voudrais revenir sur un point : le renforcement des politiques de réussite éducative., sujet un peu délaissé en ce moment où la question des rythmes occulte le reste. On parle de 150 000 sorties, je travaille sur le sujet, ce chiffre doit être réactualisé, il atteindra sans doute entre 200 et 240 000. Sur l’Académie Aix-Marseille, pour la période septembre 2012- janvier 2013, les chiffres sont tombés, nous avons perdu entre 750 et 800 élèves absentéistes, l’équivalent d’un gros lycée, ils ont disparu dans la nature. Le gros paquet est en lycée pro. Est-ce que vous pensez qu’un gouvernement responsable peut regarder es bras croisés ce qui se passe ? Sereinement, nous allons mettre les choses en place. La réforme sera reportée en 2014 pour certaines communes, en particulier certaines grandes villes qui rencontrent des problèmes d’infrastructures pour la mise en place. La municipalité de Marseille et le maire M.Gaudin n’inscrit pas les élèves en primaire, se mettant en position hors-la-loi depuis des décennies. Ce sont les directeurs d’école qui le réalisent, très bien, mais sans aide particulière.
Je retiens une information qui me paraît très intéressante, c’est que la décentralisation n’est pas du tout d’actualité pour le gouvernement. C’est une information, mais il n’en reste pas moins qu’il y a un mouvement général qui va dans le sens d’un approfondissement de la décentralisation
Jean Ortolland. Ce fut un tour d’horizon très complet. Vous avez abordé plusieurs angles qui touchent la décentralisation. Je retiens une information qui me paraît très intéressante, c’est que la décentralisation n’est pas du tout d’actualité pour le gouvernement. C’est une information, mais il n’en reste pas moins qu’il y a un mouvement général qui va dans le sens d’un approfondissement de la décentralisation. Vous avez rappelé que nous sommes toujours dans un régime d’Education dite Nationale. Mais retient mon attention tous les matins le sigle « Lycée régional », ce qui a un sens.
M.Guita. Ce n’est pas d’actualité, mais je vais aller plus loin. Le parti socialiste est contre, au niveau Harlem Désir, son secrétaire national et la fédération des Bouches-du-Rhône. Nous sommes contre la décentralisation de l’Education nationale.
Question de journaliste. Vous avez évoqué le soutien de l’Etat aux communes dans le cadre de la mise en place , qui prendra la forme, on le sait d’un soutien pour celles qui feront le pas dès 2013 (50 + 40 euros par élève en fonction du classement, Zone Urbaine Sensible et Zone de Revitalisation Rurale). Selon vos informations, le gouvernement envisage-t-il une aide plus pérenne en dehors de la date d’entrée dans la réforme ? Ainsi qu’une forme de péréquation pour amortir les différences territoriales sur la capacité financière à assurer le péris colaire ?
SG. Le parti socialiste mène une réflexion en profondeur sur ce sujet. Il est trop tôt pour donner les recommandations qui seront faites. Ce sera un chantier de fond comme celui des vacances scolaires afin de respecter les avis des chrono biologistes, 7 semaines, 2 semaines. Le PS a acté cette modulation des rythmes pour tous les cycles et non pas seulement le primaire. Deux mois de vacances d’été, on sait que c’est presque criminel dans le cas des élèves en difficulté, on sait bien que certains oublient l’écriture, la lecture etc…Des réticences vont se faire jour, en particulier parmi les syndicats enseignants. Il faudra faire preuve de pédagogie. S’il faut faire un référendum sur les vacances scolaires, le parti socialiste y est prêt même si nous souhaitons ne pas en arriver là. Nous prônons la dynamique de la concertation pour une réforme de fond.
J. Ortolland. Ce qui rejoint la question du journaliste, c’est bien le péri scolaire et le danger exprimé par tous d’aggraver les inégalités territoriales d’où l’importance du financement de l’Etat, et des compensations éventuelles qui pourraient être allouées pour régler le problème des inégalités territoriales mais dont on pressent qu’elles seront difficiles à régler en particulier dans le contexte actuel de crise économique. Vous avez avancé l’exemple de Paris, mais toutes les communes ne sont pas Paris.
Philippe ISNARD représentant de LAÏQUES & UFAL. La décentralisation existe déjà partiellement en particulier au niveau des lycées régionaux, les moyens sont fournis par les collectivités
SG Une partie, attention, pas les moyens pédagogiques
Philippe ISNARD. Un exemple a été avancé quant aux ordinateurs du Conseil général. Cela ne coûte pas si cher au conseil général. Si les ordinateurs sont donnés, c’est bien que cela ne constitue pas un gros coût avec l’utilisation de logiciels libres en particulier. Le premier département à avoir lancé ce dispositif est celui des Landes. Puis cela a été repris. Effectivement, je partage le point de vue de plusieurs organisations syndicales qu’il n’y ait qu’une Education nationale et le refus de décentraliser outre-mesure, même si des moyens financiers et techniques (pour les options) sont mis à disposition par les collectivités territoriales. Je souhaiterais connaître le point de vue de notre interlocuteur [socialiste] sur la répartition entre privé et public. Il s’est instauré au fil des années une parité, mise en place par Jack Lang et bien d’autres (accords Lang-Couplet). Des accords ont fait grincer des dents. Le financement de l’école privée était un projet de Guy Mollet et c’est Michel Debré qui l’a mis sur les rails. Guy Mollet pensait traiter avec le pape de l’époque pour abolir le statut Alsace-Moselle et en même temps donner quelque chose à l’Eglise de l’époque. Cela ne s’est pas réalisé. Puis Debré a repris le projet de financement public de l’école privée, qui gardait son caractère propre mais ne pouvait pas faire n’importe quoi, en particulier ne pouvant organiser un débat qui ne concernerait pas directement l’Ecole. parce qu’on est dès lors hors-la-loi par rapport au contrat. Des juristes ont noté dernièrement que la direction de l’enseignement catholique s’était mise hors la loi quand elle souhaitait organiser des débats sur le mariage pour tous.
J’aimerais donc savoir ce que le parti socialiste et le gouvernement ont l’intention de faire à l’égard de l’enseignement privé, continuer à le financer oui ou non, sur quelle base de parité éventuellement. On sait que l’enseignement public a des obligations et le privé en a beaucoup moins. Eddy Khaldi, un auteur (1) s’est attaché à étudier cet aspect.Il a prouvé que l’école privée, proportionnellement, avait davantage de moyens puisqu’il y avait moins d’élèves que dans le public, et en particulier, quand il y a eu des coupes sombres sous le précédent gouvernement, le privé a été moins touché.
(1) Auteur, avec Muriel Fitoussi, de La République contre son école, Demopolis, Paris, 2011.
SG. Personnellement je suis favorable à l’abolition de ce qui se passe en Alsace-Moselle, mais cela pourrait conduire à une révolution, soyons clairs. Pour le PS et le gouvernement, il ne s’agit pas de sa priorité. Il est acté aujourd’hui que l’école privée est une partie de liberté, je ne pense pas que l’on reviendra là- dessus. Mais il va y avoir un rééquilibrage et priorité sera donnée à l’école publique
SG Vous voulez que l’on refasse la révolution de 83 quand Mitterrand voulait abroger la loi sur le privé ? Il faut savoir de quoi on parle. Quand je parle de l’école privée, je désigne l’école privée » sous contrat avec des enseignants payés par l’Etat qui a droit de regard sur les programmes. Je ne souhaite pas parler de l’anarchie existant dans le hors contrat…
Ph Isnard. L’Etat doit avoir un droit de regard y compris sur le hors contrat..
SG Non, ce n’est pas la réalité. L’Etat peut avoir un contrôle si vous souhaitez donner un enseignement à vos enfants chez vous. Autrement les établissements jouissent d’une liberté totale. Les enseignants ne passent pas de concours. Je veux donc rester dans le champ de l’école privée sous contrat. Il n’y a plus de parité, c’est vrai. J’irai même plus loin, c’est l’école privée qui prime dans certains endroits, ce n’est pas le cas chez nous. Mais il existait des départements où le préfet refusait des ouvertures de classes dans les écoles primaires, collèges, lycées publics et autorisait pour le privé. C’est le sens du démantèlement dont je parlais. Nous sommes hostiles à cette tendance. Vous avez raison de dire que l’école publique a la mission noble d’enseigner et de récupérer tous les enfants. Contrairement à l’école privée, nous n’avons pas à choisir, trier les candidatures, les présentations au bac etc. Personnellement je suis favorable à l’abolition de ce qui se passe en Alsace-Moselle, mais cela pourrait conduire à une révolution, soyons clairs. Pour le PS et le gouvernement, il ne s’agit pas de sa priorité. Il est acté aujourd’hui que l’école privée est une partie de liberté, je ne pense pas que l’on reviendra là- dessus. Mais il va y avoir un rééquilibrage et priorité sera donnée à l’école publique. Souvent, on passait par le collège en privé, quitte à revenir en suite au public. Mais les élèves venant du privé ne sont plus prioritaires pour intégrer les lycées publics. On place nos élèves et seulement s’il reste de la place on accepte les autres. Les DASEN successifs des Bouches-du-Rhône avaient senti cette déviance et avaient rectifié depuis quelque s années de leur propre chef. La volonté politique actuellement est désormais de donner davantage de moyens au public.
Cédric MATTHEWS Premier Secrétaire du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) Comité de Marseille.« Je pense qu’il faut mettre en parallèle le problème de la décentralisation avec l’actualité de la métropole qui va se construire en 2016 apparemment. L’éducation ne fera pas partie des compétences de cette entité. Mais on peut penser qu’une fois mise en place cette structure, elle pourrait hériter de l’éducation. Je pense que ce sera le cas dans les années à venir, car ce sera la dimension adéquate pour demander des financements à l’Europe. L’Etat se déleste de plus en plus de ses responsabilités et ne veut plus collecter des financements , les métropoles iront demander des moyens à l’Europe et peut-être que le modèle en France sera identique à celui de l’Allemagne, le personnel et la formation étant gérés par les Régions. Je suis universitaire, on voit déjà l’évolution avec la loi LRU, chaque université a son autonomie, une forme de compétition s’est instaurée entre les établissements puisqu’il faut être dans le classement de Shangaï. Le jour où il y aura un classement international des lycées, je pense que les Régions seront le cadre de fonctionnement, je ne suis pas visionnaire, mais c’est ainsi que je vois l’évolution »
Jean Ortolland. « Nous avons les mêmes préoccupations à l’ADEP. J’ai parlé de processus en marche, je pense que la décentralisation est un élément d’harmonisation avec un modèle européen et plus largement OCDE. Dans ce processus, le point de départ est peut-être l’effort de rénovation des établissements et tout naturellement on va appliquer le principe du « qui paye décide » et on va arriver à une sorte de démembrement du système national , avec la pédagogie par projets etc…tout va dans le même sens me semble-t-il.