Tolérance et Laïcité

... L'acception positive de la tolérance comme
disposition éthique à l'écoute et au dialogue diffère
sensiblement de son sens juridico-politique : l'autorité tolère ce qu'elle ne
veut pas ou ne peut pas empêcher, mais ce qui est simplement toléré reste en
position d'infériorité par rapport à ce qui est donné comme norme...

Au delà de la Tolérance

« (…) Comprise comme un processus historique de libération, l’émancipation laïque par rapport aux tutelles cléricales se construit en deux grands moments. Le premier conduit de la tolérance restreinte à la tolérance générale ; le second rompt avec les limites et les ambiguïtés politiques de la notion de tolérance pour établir à son niveau juridique essentiel de principe constitutionnel la refondation laïque, affirmation simultanée de la liberté de conscience et de l’égalité éthique des citoyens. Du premier au deuxième moment, il se produit un progrès décisif qui place les  droits fondamentaux hors de portée de tout arbitraire.

 

Dans une problématique de la tolérance comme fait du prince, la liberté de croire ou de ne pas croire, de croire d’une certaine manière plutôt que d’une autre, reste dépendante d’un pouvoir extérieur à elle. Mirabeau s’exclame en 1789 : « Je ne viens pas prêcher la tolérance : la liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui même, puisque l’autorité qui tolère pourrait ne pas tolérer. » Condorcet souligne plus radicalement encore le risque attaché au maintien d’un culte dominateur impliqué dans le pouvoir d’État : « Chaque religion, dans le pays où elle dominait, ne permettait que de certaines opinions (…) la chaîne n’était pas brisée, mais elle était moins pesante et plus prolongée. Enfin, dans ces pays où il avait été impossible à une religion d’opprimer toutes les autres, il s’établit ce que l’insolence du culte dominateur osa nommer tolérance, c’est-à-dire une permission donnée par des hommes à d’autres hommes de croire ce que leur raison adopte, de faire ce que Ieur conscience leur ordonne, de rendre à leur dieu commun l’hommage qu’ils imaginent lui plaire davantage. » De fait, l’acception positive de la tolérance comme disposition éthique à l’écoute et au dialogue diffère sensiblement de son sens juridico-politique : l’autorité tolère ce qu’elle ne veut pas ou ne peut pas empêcher, mais ce qui est simplement toléré reste en position d’infériorité par rapport à ce qui est donné comme norme. C’est pourquoi les pays qui respectent la liberté de conscience tout en privilégiant officiellement une confession ne respectent pas strictement le principe d’égalité des citoyens. L’athéisme, par exemple, n’y bénéficie pas du même régime que les religions officialisées. (…) »

Henri Pena-Ruiz, extrait de « Qu’est-ce-que la Laïcité ? », éd. Folio-Actuel inédit, 8,40 €

HPR, vidéo d’un colloque au Sénat.

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La philosophe Catherine Kintzler a écrit un ouvrage intitulé « Tolérance & Laïcité », où elle développe une argumentation similaire. Compte-rendu de l’ouvrage (IESR, EPHE, la Sorbonne), éd. Pleins Feux 12.98, coll. version originale, 81 pp. ISBN 2-912567-44-0

Conférence « Tolérance & Laïcité » de André Comte-Sponville, 22.1.11, audio et vidéo, sur le site de la BNF (Bibliothèque Nationale de France), « environ une heure d’écoute, un peu lent au début mais qui prend tout son sens et sa puissance ensuite ». Cliquez ICI pour écouter. [info, Jacques Moutterlos (75)].